L`Union europeenne et la liberte d`expression? Evelyn Hecht-Galinski Traduction Christiane Reynaud

L’Union européenne et la liberté d’expression?

 

Evelyn Hecht-Galinski

Commentaire du 15 août 2018

Texte original : https://www.sicht-vom-hochblauen.de/die-eu-und-die-freie-meinungsaeusserung-von-evelyn-hecht-galinski/

Traduction : Christiane Reynaud

 

Le 5 juillet, la haute représentante des Affaires étrangères de l’UE, Federica Mogherini, a écrit une lettre remarquable au ministre israélien de la sécurité et des Affaires stratégiques Gilad Erdan, l’accusant de désinformation. Après qu’en mai le ministère de Gilad Erdan eut publié un rapport accusant l’UE de financer avec des millions d’euros le terrorisme ou une campagne anti-israélienne et des organisations non-gouvernementales qui ont des liens avec des groupes terroristes palestiniens ou soutiennent le boycott d’Israël, Mogherini s’est défendue au nom de l’UE et a riposté. Mogherini a supposé à juste titre qu’il s’agissait d’une duperie calculée et a qualifié ces accusations comme étant « sans fondement et inacceptables ». Elle écrit que le rapport est erroné et qu’il confond consciemment terrorisme contre Israël et boycott contre l’occupation de la Palestine et propage ainsi de fausses informations ciblées. L’UE fait une claire distinction entre le territoire d’Israël et les territoires occupés par Israël, refuse toute tentative d’isoler Israël et ne soutient pas les appels au boycott. Par contre, elle confirme le droit au BDS en tant que liberté légitime d’expression. Mogherini a conclu par une invitation à Erdan pour qu’il puisse présenter les « preuves » de ses allégations. En attendant, elle souhaite une « coopération ouverte et transparente » au lieu d’un « dialogue » à l’aide de matériel sans fondement publié sans accord préalable.

 

Pour autant que je sache, personne n’a encore fait suite à l’invitation à Bruxelles, tout à fait selon la devise bien connue : « les sionistes ne craignent rien de plus que la vérité ». Mais Erdan a réagi à la lettre et conclu : « Il est triste que la haute responsable des Affaires étrangères pratique la politique de l’autruche ». La question reste posée de savoir qui pratique la politique de l’autruche !

https://aawsat.com/english/home/article/1335421/mogherini-accuses-israeli-minister-making-%E2%80%98unfounded%E2%80%99-allegations-against-eu

http://bds-kampagne.de/hintergrund/europische-union/

 

L’UE protège-t-elle encore fermement la liberté d’expression et de réunion conformément à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à la  jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme ? La liberté d’expression doit également être appliquée pour les informations et les idées qui irritent, choquent ou inquiètent l’État ou une partie quelconque de la population. On doit éviter toute action pouvant restreindre excessivement la liberté de réunion dans l’espace où les organisations de la société civile opèrent.

 

Il me semble cependant que la politique allemande ne respecte pas tous ces principes lorsqu’il s’agit de « l’État juif ». Comment est-il sinon possible que, dans toute l’Allemagne, des décisions antidémocratiques soient prises officiellement à l’encontre des partisans de la campagne BDS à qui on refuse des locaux publics pour des conférences et empêche des discussions à ce sujet ? Pire encore, le mouvement BDS et ses adeptes sont diffamés en tant qu’antisémites, un reproche que rien ne peut justifier, mais qui vise à porter le dernier coup au mouvement. C’est une manœuvre plus que transparente du lobby pro-israélien qui semble se sentir assez fort pour devoir s’ingérer dans tous les domaines de la politique, de la science et de l’art.

 

La Ruhrtriennale qui vient d’ouvrir ses portes est une triste illustration de la façon dont la politique et le lobby pro-israélien s’entraident. Stefanie Carp, la nouvelle administratrice, est accusée d’offrir un forum à des antisémites, simplement parce qu’elle a osé inviter le groupe écossais de renom, les Young Fathers, qui soutiennent la campagne BDS. C’est devenu encore plus grotesque quand le groupe a été décommandé par Carp bien qu’elle était d’avis que le reproche d’antisémitisme pour le groupe était absurde. Lorsque Mme Carp a décidé de réinviter le groupe, il a définitivement refusé. Ce groupe d’ailleurs s’était produit à Munich lors de la cérémonie d’ouverture du théâtre des Kammerspiele, de même qu’à Cologne, et cela n’avait gêné personne. Mme Carp a laissé entendre à juste titre dans une interview du Süddeutsche Zeitung que l’intention était sûrement de maintenir une atmosphère incendiaire, d’autant plus que le Premier ministre de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie Arnim Lachert, a aggravé la situation embarrassante en annulant sa participation à la Ruhrtriennale.

 

Honni soit qui mal y pense : Lachert envisage de faire sa première visite officielle en tant que Premier ministre dans « l’État juif » en septembre et veut certainement la faire dans la pleine harmonie comme tant de politiciens allemands avant lui.

 

On accorda à l’administratrice un « délai de grâce », de sorte qu’elle peut encore garder son poste après qu’elle ait adressé une lettre aux membres du comité culturel du parlement régional pour dissiper « la consternation et les malentendus » qui auraient surgi lors de son entretien au comité la semaine dernière. Carp n’avait, à cette occasion, pas voulu reconnaître le droit d’exister d’Israël, même après que les députés aient posé plusieurs fois la question. Dans sa brève lettre, Carp a certes rattrapé cette lacune mais elle n’a pas pris ses distances par rapport à la campagne BDS (non- !) « controversée, comme on a exigé d’elle.

 

Bodo Löttgen, le chef du groupe parlementaire de la CDU en Rhénanie-du-Nord-Westphalie a tout de suite qualifié le comportement de l’administratrice de « honteux » et « incroyable ». Les députés de la CDU ne se rendraient donc pas au festival comme prévu. Pas seulement cette formulation du chef influent de la plus grande faction gouvernementale laisse à penser que Stefanie Carp sera relevée de sa fonction en automne, après la saison estivale.

 

A mon avis, il se passe là quelque chose d’incroyable. Une administratrice est convoquée devant un comité inquisiteur, doit présenter ses excuses, prendre ses distances par rapport au BDS et confirmer le droit d’exister d’un « État juif d’apartheid » sans frontières fixes et sans constitution ! Parce qu’elle n’a pas obéi tout de suite, elle doit maintenant en subir les conséquences. Nous avons évidemment affaire à un scandale qui montre de manière effrayante quel pouvoir le lobby pro-israélien a en réalité. Ce n’est pas le premier cas et ne sera sûrement pas le dernier, mais ici il devrait y avoir une levée de boucliers pour s’opposer avec solidarité à un tel arbitraire ! Nous sommes tous BDS et ne soutenons certainement pas le droit d’exister d’un État occupant dont le Parlement vient de décider d’être un État-nation des Juifs et non pas l’État de tous ses citoyens. Nous ne soutenons pas cet État qui s’est définitivement éloigné de la démocratie, est devenu un État d’occupation et d’apartheid et foule aux pieds nos valeurs qui reposent sur la Loi fondamentale et auxquelles précisément les politiciens de la CDU/CSU se réfèrent sans cesse.

 

La cheffe de la Ruhrtriennale a reçu obligeamment le soutien d’un des plus célèbres directeurs de théâtre musical, le Suisse Christoph Marthaler, qui, dans une lettre ouverte à Lachert, a critiqué son absence et lui a reproché de se soustraire au débat : par ce refus, il « pratiquerait un symbolisme qui rendrait impossible toute discussion critique ». En outre Stefanie Carp serait à tort discréditée par les accusations d’antisémitisme. Il faut donc qu’un Suisse célèbre soit le premier à prendre la défense de l’administratrice. C’est typique, à nouveau, pas un artiste allemand n’a été prêt à le faire : ils n’ouvrent la bouche que quand il s’agit de soutenir « l’État juif ».

https://www1.wdr.de/nachrichten/ruhrgebiet/ruhrtriennale-carp-laschet-100.html

 

Il doit enfin se produire un changement et la majorité des Allemands ne doit plus se laisser intimider par des comparaisons aberrantes, historiquement infondées qui ne servent qu’à dénigrer le mouvement BDS comme antisémite. Ce mouvement ne veut pas dire, comme on nous le fait croire, « N’achetez pas chez le Juif » mais il veut dire : « N’achetez pas chez l’occupant juif ». De plus en plus de citoyens, d’intellectuels et d’artistes juifs du monde entier se joignent à la campagne BDS, on peut donc espérer ! C’est précisément en ces temps de massacres à Gaza, de l’occupation illégale de la Palestine qui se poursuit et de la tentative d’annexion définitive et de judaïsation, que nous devons tous nous montrer solidaires pour la liberté de la Palestine. Nous avons besoin de politiciens intègres comme le chef du parti travailliste britannique Jeremy Corby qui a le soutien de nombreux artistes qui s’engagent pour le boycott culturel de « l’État juif ». Ce n’était qu’une question de temps que des journaux juifs de Grande-Bretagne commencent à le trainer dans la boue.

 

Tous ceux qui, comme nous, sont témoins impuissants de la brutalité et des crimes de l’occupation de la Palestine avec l’aide de la soi-disant « communauté de valeurs » qui rend cette occupation possible, doivent soutenir le mouvement BDS. Le journaliste israélien bien connu du journal Haaretz Gidéon Levy l’a exprimé de façon très pertinente dans une interview du média Al Araby : « Je ne connais pas d’outil plus approprié que le BDS pour ébranler la société israélienne. Pendant des années, j’ai été contre le BDS mais quand je vois qu’il n’y a pas d’espoir dans la société israélienne, le seul instrument efficace est le BDS ; c’est du moins un instrument non-violent. Cela n’a rien à voir avec du sang versé. Je crois vraiment qu’il pourrait avoir une influence comme dans l’apartheid de l’Afrique du Sud. Il est impossible de séparer Israël de son occupation. Grâce au lavage de cerveau, Israël a réussi à propager l’idée que toute critique d’Israël provenait de sentiments antisémites, ce qui est évidemment un mensonge. Mais le lavage systématique de cerveau en Israël, dont se servent aussi les médias, est très efficace pour répandre cette idée » (D’après Gidéon Levy).

https://www.alaraby.co.uk/english/indepth/2018/2/15/gideon-levy-on-hamas-bds-and-the-israeli-occupation

 

Ce genre de lavage de cerveau connaît entre-temps un grand succès en Allemagne aussi. Et il est soutenu par les médias. Ne nous laissons pas prendre pour des imbéciles et ne soutenons pas « l’État juif d’apartheid ». Justement en Allemagne, nous devrions prendre le « Plus jamais » très au sérieux. Ce ne sont pas les réfugiés musulmans qui doivent porter la responsabilité du « Plus jamais » mais les partisans des occupants juifs illégaux de la Palestine qui instrumentalisent la mémoire de la Shoah et veulent justifier de nouveaux torts par les anciens. Je ne peux que répéter sans cesse la devise de mon père après qu’il eut survécu à la Shoah : «  Je n’ai pas survécu à Auschwitz pour me taire devant de nouveaux torts ! ».

 

Ne nous taisons pas quand on veut nous refuser le droit à la liberté d’expression !

 

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