Marginalisation en Allemagne Evelyn Hecht-Galinski Traduction: Christiane Reynaud

 

 

Marginalisation en Allemagne

 

 

Evelyn Hecht-Galinski

Commentaire du 2 octobre 2019

Texte original: https://www.sicht-vom-hochblauen.de/deutsche-ausgrenzung-von-evelyn-hecht-galinski-kommentar-vom-hochblauen/

Traduction: Christiane Reynaud

Au Nouvel An juif 5780 (2020), je me sens marginalisée, comme beaucoup d’autres qui s’engagent pour la fin de l’occupation illégale de la Palestine. La fête du Nouvel An juif signifie littéralement „la tête de l’année“ et inaugure les dix jours de pénitence qui se terminent par le Yom Kippour, littéralement „le jour d’expiation“. Quand on lit les nombreux messages de sympathie venant du secteur politique ou religieux, on constate vraiment la glorification d’une religion qui s’est à nouveau épanouie en Allemagne malgré l’Holocauste – par exemple quand la chancelière Merkel exprime ses félicitations dans un langage fleuri comme: „C’est une merveilleuse et unique preuve de confiance et un grand enrichissement pour notre pays, qu’une vie juive ait pu à nouveau s’épanouir après la rupture civilisationnelle de la Shoah… En même temps, il faut qu’il y ait à nouveau aujourd’hui des gens courageux qui défendent nos valeurs pour que nous puissions vivre ensemble dans la pax et la liberté.“

Je n’ai pas survécu à Auschwitz pour me taire sur une nouvelle injustice

Lorsqu’en 1945 mon père revint à Berlin après sa libération des camps de concentration et d’extermination comme Auschwitz et Bergen Belsen, seul, car sa mère et sa femme avaient été gazées et son père mourut déjà au poste de police, ce fut, malgré, ou justement pour cette raison, l’unique but de sa vie de reconstruire une vie „normale“ qui vaut le peine d’être vécue pour les Juifs en Allemagne. Il a accompli cette tâche dans des conditions les plus difficiles dans sa ville de Berlin.  Ce qu’il commença en 1948, il le poursuivit envers et contre toute résistance jusqu’à sa mort en 1992. Lui qui a fait de moi une citoyenne politique critique, libre de complexes et de traumatismes, dérangeait. Être gênant pour les „dirigeants“ n’était, dèjà à l’époque, pas facile car il a dû encore lutter contre tous les anciens nazis dans les nouveaux partis: beaucoup étaient vite retombés sur leurs pieds et avaient réussi à se reclasser. On n’aimait pas à cette époque être rappelé du mal que l’Allemagne avait fait spécialement aux Juifs mais aussi à d’autres peuples et pays occupés. L’antisémitisme était alors encore très vivant. Malgré tout, mon père continua son chemin et atteignit son but de faire revivre la communauté juive de Berlin et une communauté juive en Allemagne.

Il réalisa à fond la devise de sa vie après la libération „Je n’ai pas survécu à Auschwitz pour me taire sur une nouvelle injustice“ et me l’a transmise

Pour cette raison, je me sens très proche de Gidéon Lévy, le grand défenseur de la liberté de la Palestine et excellent journaliste de Haaretz. Le 29 septembre 2019, il a écrit sous le titre „Un autre Israël: la Roch Hachana de mon enfance“ un commentaire très personnel dans Haaretz où il règle ses comptes avec la politique d’illicéité de „l’État juif“. Non, je ne suis pas une citoyenne israélienne mais une citoyenne allemande avec des racines juives. Nos objectifs et nos pensées sont quand même très semblables. Lévy écrit: „Mon père ne voulait pas venir. Il détestait la religion et ne savait rien des fêtes juives, bien que son père ait dirigé la communauté dans sa ville. Il est venu illégalement en Palestine. En 2019 en Israël, on l’appellerait un intrus. A l’époque, on l’appelait un immigrant clandestin. A la gare de Prague, il a fait ses adieux à ses parents et à sa fiancée qu’il n‘a jamais revus. Il passa cinq mois en mer à bord d’un bateau d’immigrants illégal (ce qu’on appelle aujourd’hui bateau de réfugiés) ainsi qu’une détention à Beyrouth dans un établissement qu’on nommerait aujourd’hui „Holot“ en Israël, le centre de détention pour demandeurs d’asile africains. Nous ne savions rien des camps de transit pour immigrants ou communautés éthniques. Là où se trouve aujopurd’hui le Centre Dizengoff de Tel Aviv, il y avait un camp de transit pour immigrants qui a été construit sur les ruines d’un village.“ Extraits de l’article de Lévy dont je recommande la lecture.

https://www.haaretz.com/opinion/.premium-another-israel-the-rosh-hashanah-of-my-childhood-1.7917710

Effrayant déficit d’attitude fondamentale démocratique et d’empathie

Mais revenons-en à la chancelière Merkel. Si, dans son message au Conseil central des Juifs, elle défend le respect et la tolérance, une coexistence pacifique et prospère, je me demande comment elle peut permettre que des Juifs en Allemagne soient à nouveau marginalisés simplement parce qu’ils s’engagent pour que „l’État juif“ respecte le droit international et les droits de l’homme? Quand Merkel a fait de la sécurité d’Israël la raison d’État allemande par „décret de Maman Merkel“, elle n’a sûrement pas pensé à la sécurité de la Palestine et des Palestiniens. De toute façon, il n’y a jusqu’aujourd’hui pas d’État palestinien. Et cela est aussi la faute, entre autres, de Merkel. Mme Merkel, il n’est pas suffisant de faire appel à „nos“ valeurs, d’exiger du courage et la „solution à deux États“ mais d’un autre côté, de regarder sans rien faire le régime sioniste établir chaque jour de nouveaux plans de colonisation et prendre des décisions d’annexion – pendant que les Palestiniens courageux qui résistent contre l’occupation sioniste illégale et sont même prêts à sacrifier leur vie dans ce but, sont combattus en tant que terroristes. Mme Merkel, quand vous avez assuré le régime de Netanyahou de votre solidarité pendant le génocide de Gaza et accordé le droit à la „légitime défense“ à la „plus morale“ de toutes les „armées juives de défense“ (IDF), vous nous avez mis une nouvelle culpabilité allemande sur le dos qui attend de toute urgence une „réparation“.

C’est très regrettable que, quand le président de la Conférence épiscopale allemande, le cardinal Reinhard Marx transmet ses voeux de paix et sa bénédiction au Conseil central des Juifs, lui qui a visité la Cisjordanie occupée en 2007 – alors encore en tant qu’évêque -, il sait très bien à quoi ressemblent la souffrance et l’occupation du peuple palestinien, il ne perde plus un mot à ce sujet dans son message. Quand Marx fait l’éloge des Chrétiens qui ont risqué leur vie dans la résistance et sauvé des Juifs mais regrette que la plupart des Chrétiens soient restés indifférents, on ne doit pas oublier les parallèles avec aujourd’hui. La résistance à l’injustice et l’occupation sont inextricablement liées et résister est un devoir humain! Cette délégation d’évêques n’avait-elle pas été horrifiée en 2007 à Ramallah et qualifié ces conditions de ghetto? A cette occasion, ils ont été rudement attaqués par le Conseil central des Juifs sous Paul Spiegel d’avoir osé employer le mot ghetto. Le Conseil central a immédiatement interdit le mot ghetto car ce mot ne s’appliquait qu’au ghetto de Varsovie et cela ne tolérait aucune comparaison. Je me souviens encore très bien comment je les avais soutenus et avais affirmé que ce mot ghetto était un terme courant aujourd’hui, ce qu’il est vraiment. Il n’y a pas de monopole juif sur ce mot. https://www.deutschlandfunk.de/ghetto-ist-heute-ein-gebraeuchlicher-begriff.694.de.html?dram:article_id=64303

Ne serait-il pas temps  de faire appel à la conscience de Daniel Schuster, le président actuel du Conseil central, qui agit constamment comme porte-parole du gouvernement israélien? Un messagr de sympathie à l’occasion du Nouvel An juif serait une bonne occasion, Cardinal Marx. Pourquoi ne suivez-vous pas l’exemple de l’Église anglicane d’Afrique du Sud qui vient de se rallier à une décision de boycott du mouvement BDS (boycott, désinvestissement, sanctions). http://www.bdssouthafrica.com/post/anglican-church-in-southern-africa-adopts-bds-boycott-of-israel/

Ces Anglicans sudafricains ne savent que trop bien ce que signifient apartheid et occupation. Nous n’avons qu’à lire les lignes de Ronnie Kasrils, l’ancien militant ANC et ministre juif, partisan due mouvement BDS, qui met l’occupation sioniste de la Palestine et les répressions contre les critiques sur le même plan que la situation d’apartheid de l’Afrique du Sud. https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/apr/03/israel-treatment-palestinians-apartheid-south-africa

https://www.sicht-vom-hochblauen.de/ich-kaempfte-gegen-die-suedafrikanische-apartheid-und-sehe-die-gleiche-brutale-politik-in-israel-von-ronnie-kasrils/

Quand des citoyens juifs fêtent le Nouvel An dans le monde entier mais enferment les Palestiniens sous occupation pour qu’ils ne perturbent pas les „festivités sur les terres volées“ et que cela n’est ni évoqué dans les messages de félicitations ni ne provoque de réaction politique, ce n’est pas un signal encourageant et démontre un déficit effrayant de principe démocratique et d’empathie. Non, ce n’est pas la critique d’Israël qui est contraire à la constitution, mais ce sont des résolutions du parlement fédéral comme celle sur le mouvement BDS et de le déclarer antisémite. https://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2019/kw20-de-bds-642892

 

Quelque chose ne tourne pas rond dans le pays

Quand les comptes bancaires de la „Voix juive pour une paix juste au Moyen-Orient“ sont fermés parce que l’association soutient le mouvement BDS, quand on refuse des locaux publics à des journalistes, écrivains, militants, associations juifs qui s‘engagent pour la liberté de la Palestine et soutiennent le mouvement BDS ou qu’on les renvoie et que seuls les tribunaux doivent garantir le droit à la liberté d’opinion, alors quelque chose ne tourne pas rond dans ce pays.

Quand des cérémonies de remise de prix – comme cela vient de se produire – à l’écrivain anglo-pakistanaise Kamila Shamsie sont annulées pour la simple raison qu’elle soutient activement le mouvement BDS, on est arrivé à un stade qui n’a plus rien à voir avec la démocratie. Le prix Nelly Sachs que Kamila Shamsie devait d’abord recevoir, mais qui lui a été retiré ensuite, a fait des vagues dans le monde entier. Nelly Sachs, Juive suédoise de langue allemande qui donna son nom à un prix de littérature de la ville de Dortmund, consacra sa vie à soutenir d’autres personnes. Même sa grave maladie ne l’a pas empêchée de traiter ses terribles expériences dans ses oeuvres littéraires et poétiques. Elle a recu de nombreux prix et distinctions – comme le Prix de la Paix des libraires allemands en 1965. En 1966, elle reçut avec Shmuel Yoseph Agnon, le prix Nobel de littérature des mains du roi Gustave Adolphe IV de Suède. Elle cita un poème écrit spécialement pour cette cérémonie, et fit don de la moitié du prix à des nécessiteux et l’autre moitié à sa vieille amie Gudrun Harlan. En 1967, elle dut annuler un voyage prévu en Israël sur le conseil de son médecin mais ne manqua cependant pas de s’engager avec un télégramme public pour que Günter Grass soit reçu par l’Association des écrivains israéliens. Nelly Sachs aurait sûrement été horrifiée si elle avait su qu’on retirait un prix à une grande collègue littéraire qui s’engage pour la liberté de la Palestine. Elle, qui craignait qu’en Israël “les persécutés puissent bientôt devenir des persécuteurs”, était choquée par ces atrocités. Elle, qui était si sagace et si perspicace et qui s’engageait pour ses collègues, aurait sûrement été fière des personnes de haut niveau, dont 240 intellectuels renommés,  qui ont soutenu la lettre ouverte d’appui avec leur signature et parlaient à juste titre de sanctions. Cette lettre ouverte a été publiée pour la première fois par la „London Review of Books“ sous le titre “Right to Boycott” – le droit de boycotter. http://bds-kampagne.de/2019/09/23/offener-brief-zur-nichtvergabe-des-nelly-sachs-preises-das-recht-auf-boykott/

Le 30 septembre, le journal Aachener Nachrichten a informé que la ville d’Aix-la-Chapelle renonçait à attribuer le prix d’art d’Aix-la-Chapelle. La raison: on reproche au lauréat désigné, l’artiste libano-américain Walid Raad, d’être partisan du mouvement BDS et d’avoir participé plusieurs fois à des “mesures de boycott culturel d’Israël”, comme l’a dit Marcel Philipp (CDU), maire d’Aix-la-Chapelle. La décision sera prise cette semaine, si les fondateurs du prix, l’association des Amis du Forum Ludwig maintiendront l’attribution du prix. La chasse aux sorcières et l’espionnage des convictions contre des artistes renommés conduiront à ce que de plus en plus de personnes “honorées” se détournent quand le prix “menace” de leur être attribué. Le sujet devient encore plus brûlant si l’Office fédéral et régional de protection de la Constitution classifie le mouvement BDS comme anticonstitutionnel. Les partisans du BDS seront-ils encore autorisés à venir dans le pays ou bien va-t-on adopter complètement les pratiques israéliennes?

https://www.aachener-nachrichten.de/kultur/hat-walid-raad-verbindungen-zur-israelkritischen-bewegung-bds_aid-46196797

Pas de droit d’exister pour un État sans frontières sur des terres volées!

Quand le ministre d’État de l’Intérieur de Berlin Andreas Geisel (SPD) menace dans une interview du journal Zeit de faire observer le BDS par l’Office de protection de la Constitution, qu’il remet même en question la critique fondamentale d’ Israël, il s’oppose alors, comme beaucoup de ses collègues politiques, aux décisions de l’ONU, et, typiquement allemand, en pointant un doigt moralisateur, il se range du côté des criminles israéliens contre le droit international et les droits de l’homme. Que savez-vous, Sénateur Geisel, des objectifs du mouvement BDS? Non, Mr. Geisel, Israël, cet État sans frontières, sur des terres volées, n’a pas le droit d’exister! Quand en Allemagne, à chaque critique de “l’État juif”, on évoque les circonstances historiques qui nous interdisent de soutenir des décisions de boycott contre Israël, ce n’est pas acceptable. Au lieu de “N’achetez pas chez les Juifs” il faut dire “N’achetez pas chez les occupants juifs” comme je l’ai déjà écrit. Geisel est sans scrupules quand il s’agit de boycotts contre la Russie, un pays qui “grâce à notre aide” a eu à déplorer 27 millions de morts pendant la guerre. Nous nous dépêchons aussi d’interdire à l’Iran de posséder des armes nucléaires, parce que, soi disant, il menace Israël d’un “Holocauste” – alors qu’à cause de ses traumatismes. la politique assure à “l’État juif” tout soutien – également sous forme d’armement – et lui accorde le droit d’être une puissance nucléaire sans qu’il soit sanctionné. Après tout, il en a besoin pour sa “légitime défense”!

https://www.zeit.de/politik/deutschland/2019-09/andreas-geisel-innensenator-berlin-bds-bewegung-verfassungsschutz

Si, comme c’est à nouveau le cas actuellement, mais cette fois de la part du commissaire à l’antisémitisme du Bade-Wurtemberg Michel Blume – on exige de remanier ou de changer l’exposition sur la Nakba, ce serait une falsification de l’histoire. Il n’y a rien à corriger sur la Nakba et l‘exposition itinérante scientifiquement irréprochabe de „La Nakba, exode et expulsion des palestiniens en 1948“ sur la catastrophe de l’expulsion de 750.000 Palestiniens pendant et après la fondation de l’État d‘Israël. Donc, si Blume veut donner l’impression avec le premier rapport sur l’antisémitisme dans le pays que, sans la correction, l’exposition serait antisémite, il s’agit d’une insinuation malveillante qui, elle, a un besoin urgent d’être corrigée. Je recommande au commissaire à l’antisémitisme la lecture du livre d’Ilan Pappé “Le nettoyage ethnique de la Palestine” pour rafraîchir ses connaissances historiques. J’ai moi-même pu inaugurer cette exposition sur la Nakba en 2008 à Tübingen et faire une conférence à cette occasion sur le sujet “L’anniversaire de la fondation d’Israël peut-il être célébré de façon aussi peu critique dans le contexte de la Nakba?” https://www.attac-netzwerk.de/index.php?id=7582

Cette exposition est si importante et si juste qu’elle devrait devenir une institution permanente dans toute l’Allemagne. Le chemin vers l’avenir commence par le souvenir et cela est valable aussi pour la Palestine et les Palestiniens qui attendent toujours leur droit de retour légal en Palestine.

Il n’y a rien à fêter pour les Juifs qui ferment les yeux sur les crimes des régimes sionistes

Seulement 86 ans apès la prise de pouvoir d’Hitler et la persécution des Juifs, des Juifs courageux et gênants qui participent au mouvement BDS et s’engagent pour la fin de l’occupation illégale de la Palestine sont aujourd’hui de nouveau marginalisés comme antisémites. Dans une Allemagne où le philosémitisme a remplacé l’antisémitisme, où les lettres ouvertes d’artistes et de scientifiques de renommée internationale sont déniées, on ne peut pas fêter un bon Nouvel An 5780. Il n’y a rien à fêter pour les Juifs qui ferment les yeux sur les crimes des régimes sionistes de “l’État juif”. Ce n’est que lorsque la Palestine sera libre et que les droits de l’homme et le droit international seront valables pour tous ses citoyens et pour les réfugiés revenus dans leur pays, qu’il y aura quelque chose à fêter. C’est pourquoi nous soutenons le mouvement BDS de toutes nos forces et avec “notre dernière encre” comme Günter Grass l’a si bien écrit dans son poème “Was noch gesagt werden muss” (Ce qui doit encore être dit)

https://www.faz.net/aktuell/feuilleton/debatten/das-israel-gedicht-von-grass/das-gedicht-von-guenter-grass-was-gesagt-werden-muss-11707985.html

Il y a encore beaucoup à dire et à faire jusqu’à ce que la Palestine soit libérée et que l’Allemagne ne marginalise plus les Juifs critiques et les partisans du BDS.

 

 

 

 

 

 

 

 

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